lundi 22 novembre 2010

Innover en Chine

Le 21 octobre 2010 s'est tenue à la Chambre de Commerce et de l'Industrie de Lyon une conférence sur la protection des innovations en Asie. Ce compte-rendu reprend plus précisément l'intervention de M. Alain COLOMBET du cabinet de conseil en Propriété intellectuelle Lavoix sur les dépôts de brevets par des entreprises françaises en Chine.

La Chine se positionne fortement sur le marché des brevets aujourd'hui, elle souhaite faire évoluer son image d'"imitatrice" et mettre en avant ses innovations. Pour y parvenir, le gouvernement chinois a renforcé depuis quelques années sa politique sur les droits de propriété intellectuelle (PI), politique appuyée par la parution d'un livre blanc le 21 avril 2005 et intitulé "Nouveaux progrès dans la protection des DPI par la Chine". L'objectif du gouvernement est sans équivoque : la Chine sera "première de la classe" d'ici 2020 dans "l'application des standards internationaux d'obtention, de protection, d'exploitation et d'exercice des titres et droits de PI sur le territoire chinois."* Pour se faire, il lui faudra mener un certain nombre d'actions, dont "l'amélioration de la qualité et la quantité des titres de PI chinois", la "lutte contre le piratage et la contrefaçon" ainsi que des actions de sensibilisation et de formation à la PI pour une meilleure connaissance et utilisation des droits de PI par les entreprises locales et la population.

Pour accompagner ces actions, la législation chinoise évolue : le 1er février 2010 une nouvelle loi sur les brevets est entrée en vigueur, impactant les modalités de dépôt des brevets étrangers en Chine. Avant octobre 2009, un usage antérieur hors de Chine ne pouvait s’opposer à un brevet déposé en Chine ultérieurement. Depuis, la nouveauté absolue prime, preuve à l'appui.

Les règles de brevetabilité en Chine tendent à s'aligner sur les règles internationales, mais quelques particularités chinoises persistent. Ainsi, l’analyse de la suffisance de description de l’invention dans la demande de brevet n'est pas identique en Chine et dans les pays occidentaux : une innovation pourra être protégée aux USA ou en Europe de manière large (non limitée aux exemples de réalisation), alors que le brevet chinois a vocation à protéger de manière étroite le produit exemplifié. Il en résulte que, le brevet chinois devant clairement expliciter chaque produit et leur utilité, la quantité de brevets déposés en Chine est largement supérieure à celle des autres pays qui protègent une "famille" de produits. Il est également demandé dès le dépôt d'un brevet chinois d'apporter des résultats concrets, les modes de réalisation, des données expérimentales (l’examinateur de l’office chinois des brevets refusant la présentation des preuves que l’invention fonctionne hormis celles présentes dans le texte de la demande de brevet), ce qui n'est pas la pratique aux USA ou en Europe (dès qu'une innovation est pressentie, un brevet peut être déposé et sera modifié quand des données seront disponibles). Il est donc nécessaire pour les entreprises françaises d'être très prudentes dans le descriptif de leurs innovations dans les brevets chinois, car seul ce qui est décrit et exemplifié est protégeable. Les revendications doivent être très proches des exemples.

Une invention faite en Chine devra suivre la règle de dépôt suivante : le premier dépôt doit être fait en Chine ou "à l'étranger sous réserve d'autorisation du SIPO (Office chinois de la propriété intellectuelle) avec un délai de 4 mois"*. Le dépôt en Chine peut être fait sous la forme d’une demande chinoise en chinois, ou d’une demande PCT en anglais (Patent Cooperation Treaty) auprès du SIPO.

Pour une invention réalisée partiellement en Chine et en France, il est nécessaire de faire un 1er dépôt en Chine. Dans le cas d'une co-invention avec contrat entre les deux parties, seul le contrat établi permet d'établir le propriétaire de l'invention. Sans contrat, l'invention est propriété des deux parties. Dans le cas d'une "invention de commande"*, sans contrat désignant le propriétaire de l'innovation, le brevet appartient à l'entreprise ayant réalisé l'invention et non le commanditaire qui en a alors qu'un droit d'exploitation. En pratique, si un contrat de prestation est fait avec une entreprise chinoise, il est important de prévoir dans le contrat de partenariat une clause définissant la propriété d'éventuelles inventions. En l'absence de contrat, l'exploitation et le dépôt de l'invention est libre pour chacune des parties.
En termes de statistiques, la nouvelle politique chinoise sur les brevets a conduit à une explosion du nombre de dépôts de brevets chinois en Chine, entre 1997 et 2009 (12 672 brevets versus 229 096).. Concernant les brevets étrangers déposés au SIPO, leur nombre a également augmenté (12 102 en 1997, équivalent au nombre de dépôts de brevets chinois, versus 85 477 en 2009, chiffre faible comparé aux dépôts chinois). Le marché chinois est très difficile d'accès comme on peut le voir, avec en 2009, plus de 85 000 brevets étrangers déposés contre 230 000 brevets locaux. De même, autant de brevets locaux que étrangers sont délivrés par le SIPO (c’est-à-dire autant pour la Chine que pour le reste du monde !).
En ce qui concerne l'application des droits de propriété intellectuelle en Chine, le nombre de procès a aussi explosé entre 2001 et 2008, principalement entre Chinois. Peu de procès ont cours entre Chinois et étrangers, souvent intentés par des entreprises chinoises d'ailleurs. Parmi les procès entre Chinois et étrangers en 2007-2008, 71% des verdicts étaient en faveur des brevetés étrangers. Il est donc possible de gagner des procès en Chine.

En conclusion, il est indispensable de bien connaître la culture chinoise pour une bonne négociation, et de s'appuyer sur des médiateurs locaux maîtrisant les usages et la langue chinoise. Les contrats doivent être précis et détaillés. Il est important de noter qu'un accord oral peut être considéré comme une évolution du contrat écrit.

Avant tout accord, il est nécessaire de bien connaître l'environnement de l'entreprise sur le territoire chinois : surveillance des brevets concurrents, des partenaires éventuels, de la législation chinoise.

Cynthia Coll


Je remercie M. Colombet pour l'aide apportée à la rédaction de cet article.

* Citations de M. Alain COLOMBET

Pour aller plus loin :
OMPI : http://www.wipo.int

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